Plus de 250 biais cognitifs ont été recensés à ce jour par les chercheurs, plus de 250 raccourcis mentaux, susceptibles d’influencer, pour le meilleur et pour le pire, nos prises de décision au quotidien et donc la qualité même de nos recrutements !!
Car oui, les processus de recrutement ne sont clairement pas épargnés par les biais cognitifs, loin de là !
Ils offrent même un formidable terrain de jeu aux biais qui, si rien n’est mis en œuvre pour contrer ces mécanismes de pensée, s’en donnent littéralement à cœur joie ! On peut alors dire bye-bye équité, pertinence et objectivité !
Aussi, il n’est guère étonnant d’apprendre par D. Kahneman, O. Sibony et C.R. Sunstein [1] que lorsque 2 personnes rencontrent ensemble 2 candidats en entretien, elles ne sont pas d’accord sur le candidat à retenir dans 25 % des cas. Problématique isn’t it ?
Mais avant de passer en revue ma sélection toute personnelle des biais cognitifs influençant le plus les prises de décision en recrutement, je vous propose de revenir sur la définition même d’un biais cognitif.
Définition
Selon le psychologue Jean-François Le Ny, « un biais est une distorsion (déviation systématique par rapport à une norme) que subit une information en entrant dans le système cognitif ou en sortant. Dans le premier cas, le sujet opère une sélection des informations, dans le second, il réalise une sélection des réponses ».[2]
Plus simplement, notre cerveau va, inconsciemment, « prendre des libertés » dans le traitement des innombrables informations qu’il reçoit et effectuer des « raccourcis » en accordant une importance démesurée à certaines informations ou bien en en occultant d’autres complètement.
Par innombrable, je n’exagère pas, loin de là ! Boussad Addad écrit dans L’encyclopédie des Biais cognitifs, que ce ne sont pas moins de « 11 millions de bits d’information par seconde » que les 5 sens de notre corps transmettent à notre cerveau. Phénoménal ! Or la quantité réelle d’information que le cerveau humain peut traiter « ne dépasse pas 50 bits par seconde ». La bande passante de notre cerveau est ainsi rapidement saturée et majoritairement dédiée à l’activité cognitive inconsciente ou automatique d’où l’emprise des biais cognitifs.
Cette manière de procéder est absolument normale et bien souvent salvatrice ! Elle a d’ailleurs permis à l’Homme de survivre à de multiples dangers et de s’adapter en prenant des décisions extrêmement rapidement. Elle peut cependant nous jouer des tours et nous faire prendre de mauvaises décisions que ce soit dans notre vie personnelle ou bien professionnelle.
Parmi les 250 biais cognitifs, certains se manifestent tout particulièrement lors des processus de recrutement :
Le biais d’ancrage
Je débute, naturellement et sans la moindre hésitation, par le biais d’ancrage qui fait littéralement des ravages en recrutement ! Il désigne l’immense difficulté que nous avons à nous départir de notre première impression. En nous focalisant sur une première information, notre esprit n’arrive plus à apprécier et à prendre en considération les nouvelles informations et à envisager d’autres conclusions/d’autres choix.
Ainsi, si un candidat arrive en retard à son premier entretien de recrutement avec nous, nous aurons le réflexe de le catégoriser de manière quasi-définitive comme « jamais ponctuel » et donc toujours en retard. Il sera ensuite extrêmement compliqué pour ne pas dire mission impossible de revenir en arrière et de lui retirer cette étiquette !
L’effet de halo
Tout comme le halo, souvent dépeint dans l’art religieux, empreint entièrement une personne, ce biais consiste, à partir d’une seule et unique caractéristique d’un candidat, à la généraliser à l’ensemble de ses caractéristiques. L’effet de halo peut ainsi être positif ou négatif. Si la première impression sur un candidat est positive, nous allons interpréter favorablement tout ce que cette personne dit ou fait. En revanche, si la première impression est négative, nous allons alors voir ce candidat sous un prisme négatif.
Un des exemples les plus classiques concerne la beauté ou l’apparence physique. Nous aurons ainsi tendance à percevoir un candidat avec une belle apparence physique comme plus compétent et intelligent qu’un candidat d’apparence moins soignée. D’ailleurs, selon une étude de 2019, les salariés jugés « beaux » perçoivent des salaires en moyenne 12% plus élevés… Pourtant, un physique plus « avantageux » fait-il de la personne un meilleur collaborateur ?!?
L’effet Dunning-Kruger
Selon les psychologues Dunning et Kruger, les moins compétents auront tendance à surestimer leurs capacités alors que les plus compétents auront, au contraire, tendance à minimiser les leurs.Un candidat incompétent n’a, en effet, pas les compétences requises et nécessaires pour réaliser qu’il est incompétent. En résumé, c’est un ignorant qui s’ignore ! Alors qu’a contrario, un candidat très compétent aura une conscience aiguë de ses propres limites et des connaissances dont il ne dispose pas encore.
Nous devons donc nous méfier des candidats affichant, en entretien, une confiance sans limites dans leurs compétences et connaissances. Confiance ne rime pas forcément avec compétence et cela peut nous jouer des tours !
Le biais de cadrage
Concrètement, cela consiste à débuter un entretien avec une idée bien précise en tête de ce que nous attendons de cet échange et avec la volonté d’être conforté dans notre opinion et nos préjugés. Ainsi, nous formulerons nos questions de telle manière que le candidat saura exactement la réponse que nous attendons de lui et « souhaitons » entendre Il ira ainsi dans ce sens sans pour autant que cela soit la vérité car nous l’avons trop fortement influencé. « J’ai vu que vous avez un Bachelor de Management, je suppose que vous êtes à l’aise en anglais et en mesure de travailler dans un environnement international sans difficultés ? »
Le biais de l’extraordinaireté
C’est le biais « paillettes » par excellence car il provoque un « effet waouh » ! Il consiste à privilégier de manière excessive les candidats disposant de caractéristiques extraordinaires ou atypiques comme un candidat champion du monde de voltige, parlant 6 langues ou bien encore ayant fait le tour du monde même si ces compétences ne sont pas vraiment pertinentes pour le poste à pourvoir ! Cela se fait, de plus, au détriment des réelles compétences attendues ! Or un candidat ceinture noire de karaté est-il forcément un meilleur comptable ?!?
L’effet de contraste
Ce biais est tout particulièrement à l’œuvre dans le cadre de recrutements de profils pénuriques et de postes difficiles à pourvoir. Ainsi, si nous avons présélectionné et reçu 3 candidats en entretien, il y a de fortes chances que nous ayons envie de sélectionner le « moins pire » des candidats rencontrés. Pour autant ce dernier, même s’il tire son épingle du jeu et se démarque des deux autres, n’est pas forcément un candidat adéquat pour pourvoir le poste en question.
Le biais d’association
Nous procédons par associations d’idées et faisons automatiquement des liens entre certaines informations figurant sur un CV et des traits de caractère que nous prêtons au fait d’appartenir à tel groupe d’individus ou de pratiquer telle ou telle activité. Nous estimerons ainsi qu’un candidat fan de sports d’équipes est forcément sociable et qu’il n’appréciera pas de travailler seul. Bref, nous tirons des conclusions hâtives sur lui.
L’effet de récence
Ce biais repose sur le fait que nous nous souvenons mieux des derniers candidats rencontrés et donc des dernières informations engrangées. A compétences égales, nous aurons ainsi tendance à privilégier et à préférer le dernier bon candidat rencontré uniquement pour la simple – et non bonne – raison que nous l’avons récemment rencontré et que nos échanges et interactions avec lui sont plus frais dans notre mémoire et notre esprit.
L’effet de simple exposition
Là encore, nous éprouvons un sentiment plus positif et bienveillant vis-à-vis d’un candidat du fait même de l’avoir déjà rencontré et de la simple exposition répétée à ce candidat. Dans un contexte de recrutement, cela signifie que nous serons enclins à évaluer plus favorablement et à « avantager » un candidat que nous avons déjà rencontré ne serait-ce qu’une seule fois à l’occasion d’une soirée cooptation ou d’un salon par rapport à un candidat que nous découvrons pour la première fois en entretien.
Le biais de l’entomologiste
C’est en quelque sorte le biais de « l’arroseur arrosé » ! En voulant nous prémunir au maximum des biais cognitifs, nous pouvons être tentés de nous focaliser uniquement sur les faits, éléments techniques et hard skills des candidats en mettant de côté leurs soft skills et nos propres émotions. Cela s’avère malheureusement contre-productif et revient à nous transformer en robot dépourvu d’émotions et à occulter les compétences comportementales d’un candidat, indispensables au bon exercice de ses fonctions et à sa bonne intégration.
L’erreur fondamentale d’attribution
L’erreur fondamentale d’attribution est un biais qui consiste à accorder une importance disproportionnée aux caractéristiques internes d’un candidat (sa personnalité, ses intentions, ses émotions, ses opinions) dans l’analyse de son comportement au détriment des facteurs externes et situationnels et ce dans une situation donnée.
Ainsi, si un candidat est particulièrement stressé lors d’un entretien, nous en conclurons qu’il est d’un naturel stressé et nerveux et qu’il ne sera peut-être pas la bonne personne pour exercer telle fonction qui nécessite du sang-froid alors que ce stress peut être tout à fait exceptionnel et lié à un événement bien précis. Bref, nous estimerons que cette nervosité est un trait de caractère et non la résultante de facteurs externes bien particuliers.
L’effet de conformisme de groupe
Lorsque nous hésitons entre plusieurs candidats, nous avons naturellement le réflexe de vouloir impliquer un maximum d’interlocuteurs dans la prise de décision. Mais force est de constater que le recours au collectif n’est pas le rempart ultime contre les biais et la subjectivité. Cela peut même être totalement contre-productif si ce recours est mal orchestré.
En effet, selon Janis Irving, les individus d’un groupe ont tendance à rechercher prioritairement une forme d’accord global ou « consensus » plutôt qu’à appréhender de manière réaliste la situation. Ainsi, au lieu de permettre la prise de décision la plus objective, fiable et équilibrée possible, une prise de décision collective aboutit, bien souvent, à une décision convenue et conformiste.
Ce phénomène est encore plus prononcé lorsque le premier à s’exprimer est le chef ou le leader d’opinion.
Toutes les personnes qui vont ensuite prendre la parole vont se sentir obligées de se ranger à son avis et de s’auto-censurer non par conviction mais par conformisme et peur éventuelle de déplaire.
Le syndrome du scarabée
Ne vous fiez pas à son nom a priori mignon et bucolique car c’est un biais redoutable ! Il consiste à privilégier et à recruter les profils qui nous ressemblent le plus, au détriment des profils les plus pertinents et compétents. Ne dit-on pas « qui se ressemble s’assemble » ?!?
C’est un raccourci mental, très fréquent en recrutement ! Recruteurs et managers favorisent, consciemment ou inconsciemment, des profils qui leur ressemblent – même cursus, expérience professionnelle similaire, loisirs communs – et finissent, sans forcément s’en rendre compte, par recruter des armées de clones.
Résultat : l’entre-soi règne au sein de ces organisations ! Elles s’illustrent par un manque flagrant et criant de diversité ce qui nuit indéniablement et considérablement à leur performance et à leur capacité d’innovation.
Le biais de l’angle mort ou de la tache aveugle
C’est mon biais cognitif « chouchou » ! Il s’agit tout simplement d’un biais qui nous pousse à croire que nous sommes moins sensibles que les autres aux biais cognitifs…
L’être humain est ainsi fait « que nous voyons facilement les biais des autres, mais ne voyons pas la « poutre » de nos propres biais. Plus précisément, nous n’en avons pas conscience. » [3]
Ainsi, nous aurons tendance, même sensibilisés aux biais à estimer que nous sommes moins sujets que les autres et moins enclins à tomber dans les pièges qu’ils nous tendent. C’est, bien évidemment, une erreur que de se croire ainsi à l’abri et immunisé ! Nous sommes « aveugles aux évidences, et inconscients de notre propre cécité » écrivait Daniel Kahneman. Nous nous fierons davantage à notre flair et mettrons alors en place moins de méthodes pour atténuer l’impact des biais.
Conclusion
En résumé, les processus de recrutement offrent un formidable terrain de jeu aux biais cognitifs !
Il est crucial que nous en soyons conscients afin de pouvoir « lutter » au maximum contre ces biais cognitifs qui nous assaillent en permanence. La prise de conscience et la connaissance des biais cognitifs est, en effet, un timide premier pas vers un recrutement plus objectif et de meilleure qualité.
Pour autant, ne nous voilons pas la face, vouloir s’en débarrasser totalement est clairement voué à l’échec tant ils sont nombreux, inconscients et gouvernent nos schémas de pensée. S’il est possible d’en atténuer l’impact, il est totalement impossible d’éradiquer complètement les biais cognitifs même en déployant toute une artillerie technologique car comme le disait si bien Einstein « Il est plus facile de désintégrer un atome qu’un préjugé ».
Curieux d’en savoir plus sur les principaux biais cognitifs en recrutement et la manière se s’en prémunir au maximum ? Je vous invite à découvrir la saison 2 d’« Histoires de Recruteurs » un podcast WeSuggest dédié aux biais cognitifs et animé par ma petite personne 😎 ! [4]
Je vous invite également à lire l’article intitulé Comment réduire le bruit dans les processus de recrutement ? publié sur le blog de Taleez ( Comment réduire le bruit dans les processus de recrutement ? (taleez.com)).
Références
[1] Noise, Pourquoi nous faisons des erreurs de jugement et comment les éviter – Daniel Kahneman, Olivier Sibony et Cass R. Sunstein |Editions Odile Jacob
[2] « Biais », Grand Dictionnaire de la Psychologie, Larousse
[3] Olivier Sibony, Vous allez commettre une terrible erreur, éditions Clés des Champs
[4] Podcast « Histoires de Recruteurs » Histoires de recruteurs : le jour où… sur Apple Podcasts
Pour aller plus loin…
- L’Encyclopédie des biais cognitifs de Boussad Addad
- Site web : Le guide pratique des biais cognitifsRaccourcis | Guide pratique des biais cognitifs | Shortcuts (shortcogs.com)
- Vidéo : Comment éviter les biais cognitifs pour prendre la bonne décision ? – Olivier Sibony
- Système 1 / Système 2 : les deux vitesses de la pensée de Daniel Kahneman